La photographie, qui pour Edward Weston n'était qu'une curiosité adolescente, s'est transformée en plus de cinquante ans en une recherche approfondie sur la manière dont cet art peut être un outil de compréhension du monde. Aujourd'hui, le centre KBr de Barcelone présente « Edward Weston. La Matière des Formes », une exposition qui retrace la carrière du photographe à travers un parcours comprenant près de deux cents images et une vaste sélection de documents.
Prologue to a Sad Spring, Edward Weston (1920). © Center for Creative Photography, Arizona Board of Regents La nº 6: 1981. Center for Creative Photography, Arizona Board of Regents
L'exposition propose une lecture formative et critique de l'évolution du médium photographique et de sa valeur en tant que langage visuel doté d'une entité propre, détaché des codes établis par les arts plastiques classiques, notamment la peinture. L'exposition, qui sera ouverte du 12 juin au 31 août et bénéficie de la collaboration du Centre de photographie créative de l'Université de l'Arizona, à Tucson, est organisée par Sergio Mah, qui propose une anthologie reliant les différentes périodes de l'œuvre de Weston, de ses débuts marqués par le pictorialisme à sa maturité, où clarté formelle et précision technique définissent son style le plus reconnu.
Guadalupe Marín de Rivera, Edward Weston (1924). © Center for Creative Photography, Arizona Board of Regents La nº 6: 1981. Center for Creative Photography, Arizona Board of Regents
Weston débute très jeune, avec un appareil Kodak offert par son père à seize ans. Toujours autodidacte, il ouvre déjà son propre studio en Californie en 1911. Mais c'est dans les années 1920 que sa photographie prend une nouvelle direction. Déçu par le pictorialisme, qui cherche à imiter la peinture, il contacte d'autres photographes comme Alfred Stieglitz et Paul Strand, et leur transmet l'idée que la photographie doit trouver son propre langage. Peu après, il s'installe au Mexique avec son fils Chandler et Tina Modotti. C'est là qu'il découvre la scène artistique et culturelle locale, notamment celle de Diego Rivera et Frida Kahlo, et vit un tournant décisif.
Excusado, Mexico, Edward Weston (1925). © Center for Creative Photography, Arizona Board of Regents La nº 6: 1981. Center for Creative Photography, Arizona Board of Regents
Entre les années 1920 et 1940, Weston développe les séries qui le rendront célèbre : nus, natures mortes, paysages et portraits. Son regard transforme le quotidien en motifs d'attention ; « l'extraordinaire de la banalité », selon les mots du commissaire. Une toilette, une feuille de chou ou un coquillage deviennent les protagonistes d'images méticuleusement réalisées, avec un cadrage très précis et une recherche constante de forme et de texture. Ce travail le rapproche d'une abstraction qui ne contredit pas la figuration, mais coexiste avec elle. Les nus qu'il réalise à partir de 1926 en sont un bon exemple : le corps n'est pas seulement un corps, mais une manière de jouer avec les volumes et la lumière.
Nude, Edward Weston (1936). © Center for Creative Photography, Arizona Board of Regents La nº 6: 1981. Center for Creative Photography, Arizona Board of Regents
Weston entretenait également une relation étroite avec le paysage nord-américain. Il a photographié les dunes d'Oceano, le désert de Palm Springs, les terres de l'Arizona et du Nouveau-Mexique. Son appareil photo grand format lui permettait de saisir les plus petits détails tout en transmettant une impression de pause et d'attention. Cette façon de travailler rejoint l'esprit du Groupe f/64, collectif dont il était cofondateur et qui défendait la photographie directe, sans artifice. Au fil des ans, son travail acquiert une densité visuelle et émotionnelle de plus en plus marquée. Cette intensité, particulièrement perceptible dans les gammes tonales et l'atmosphère que dégagent ses images, confère une patine mélancolique qui imprègne une grande partie de sa production finale.
Surf, Bodega, Edward Weston (1937). © Center for Creative Photography, Arizona Board of Regents La nº 6: 1981. Center for Creative Photography, Arizona Board of Regents
Grâce à la bourse Guggenheim obtenue en 1937, Weston put entreprendre un voyage à travers le pays qui aboutirait au projet d'illustrer Leaves of Grass de Walt Whitman. La guerre mit fin à ce projet, mais il continua à travailler jusqu'à ce que la maladie de Parkinson l'empêche de poursuivre sa carrière photographique. En 1946, le MoMA de New York lui consacra une importante rétrospective de 250 images ; Weston mourut début 1958, laissant derrière lui une œuvre solide et essentielle qui continue de remettre en question la manière dont la photographie contemporaine est réalisée et interprétée.
Crescent City, Edward Weston (1939). © Center for Creative Photography, Arizona Board of Regents La nº 6: 1981. Center for Creative Photography, Arizona Board of Regents