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Avis

Méditations sur Sixena

Detall de les pintures de Sixena conservades al MNAC. © Marc Rovira
Méditations sur Sixena

U. Une décision définitive de la Cour suprême corrobore les décisions précédentes (la plus ancienne datant de 2016) selon lesquelles le MNAC doit restituer les peintures murales de Sixena. Ces motifs sont des biens, dont le procès a établi la propriété à Sixena. Rien à signaler pour l'instant.

Deuxièmement. Sixena est propriétaire et a donc le droit d'exiger sa restitution. Cependant, le jugement ne parle pas de restitution, mais de « restitution », et c'est là que la sonnette d'alarme retentit. Restituer, en termes patrimoniaux, signifie reconnaître un pillage, un saccage ou une appropriation illicite. Mais cela méconnaît la réalité des faits. Le jugement donne une interprétation très superficielle du terme « restitution » et de l'opération de sauvetage des œuvres d'art entreprise par Josep Gudiol avec la Généralité de Catalogne, soi-disant sans le document attestant du consentement de la Direction générale des Beaux-Arts, dirigée depuis septembre 1936 par Josep Renau. L'autorisation de Renau n'a certes pas été retrouvée, comme le précise le jugement, mais pourquoi les juges n'examinent-ils pas tous les éléments historiques qui leur permettraient d'éviter de qualifier l'opération de pillage ? Pourquoi l'exception du contexte de guerre n'est-elle pas prise en compte ? Pourquoi l'esprit altruiste de la Commission de sauvegarde du patrimoine de la Generalitat, composée d'artistes (Fenosa, Shum ou Benigani, entre autres) et d'historiens de l'art, réunis spontanément pour contribuer à sauver des œuvres précieuses vouées à l'incendie et à la destruction, n'est-il pas pris en compte ? Pourquoi tout le travail de sauvetage et de conservation qui a permis d'éviter la disparition certaine de ces œuvres (alors que, pendant des décennies, elles auraient été endommagées dans un bâtiment sans toit, à l'air libre) n'a-t-il jamais été reconnu ?

Troisièmement. Mais même dans les cas de retour ou de restitution culturelle (qui trouvent aujourd'hui des défenseurs parmi certains muséologues et directeurs de musées ayant une perspective plus contemporaine, et même des soutiens parmi ceux qui ont mené des actions de sauvetage en Aragon, comme le sculpteur Apel·les Fenosa), il n'est techniquement pas tolérable aujourd'hui de le faire, sous quelque forme que ce soit. Le code de déontologie de l'ICOM pour les musées (2016) stipule que les musées doivent effectivement collaborer en cas de retour ou de restitution (« en dialoguant sur les modalités de restitution d'un bien culturel ou d'une communauté d'origine »), mais « cela doit être fait de manière impartiale, en se basant uniquement sur des principes scientifiques, professionnels et humanitaires, voire sur la législation locale, nationale et internationale applicable, qui doit être privilégiée aux actions au niveau gouvernemental et politique ».

Autrement dit, la restitution est soumise à des conditions : un débat scientifique fondé sur les réglementations et législations nationales et internationales doit avoir lieu. Et ce, sans aucune intervention politique. Il faut maintenant se demander : comment maintenir un débat impartial si la plainte initiale est politique, perpétrée par le gouvernement aragonais avec des déclarations débordantes d’orgueil ? Et comment le MNAC peut-il engager un dialogue, comme le recommande l’ICOM, alors qu’il est qualifié de pilleur par le plaignant ? Avant de s’asseoir, un minimum d’humilité, de fraternité, de rectification et de gratitude serait nécessaire.

Quatrièmement. Ce que le MNAC s'est attaché à promouvoir depuis la décision de 2016 correspond à ce que demande l'ICOM : recueillir des avis scientifiques et techniques prouvant qu'il est préférable de ne pas déplacer les peintures de Sixena en raison de leur fragilité, sur la base de rapports internes, nationaux et internationaux de prestige avéré que nous ne répéterons pas ici. Qu'a fait l'autre partie ? Du côté de Sixena, on parle de l'élaboration d'un protocole d'action pour le transfert, ce que nous ignorons. Aucun rapport international de prestige reconnu n'a été présenté pour défendre le transfert, ni aucun rapport d'État. L'année dernière (janvier 2024), l'une des associations de référence soutenant la demande (Sijena Si) a même exigé un protocole d'action pour le transfert et a reconnu l'absence de projet muséal à Sixena.

Méditations sur Sixena Primeres intervencions d'arrencaments de les obres al monestir de Sixena (1936)

Cinq. Prenons maintenant pour argent comptant les déclarations des responsables politiques et techniciens d'Aragon et de Sixena, qui affirment que des travaux d'adaptation et de réhabilitation d'un montant de plus d'un million d'euros ont été réalisés dans le monastère et la salle capitulaire pour une bonne acclimatation. Nous n'avons aucune raison d'en douter. Naturellement, nous sommes sur la bonne voie : mais il ne s'agit pas d'un rapport technique garantissant la survie des œuvres et les soustrayant aux risques liés à leur conservation. La conservation va au-delà des équipements de climatisation et d'isolation thermique. Elle doit au moins égaler ce qu'offre aujourd'hui un musée de premier ordre comme le MNAC, expert, soit dit en passant, dans la conservation des fresques, sa spécialité mondiale. Des équipes de conservation humaines, des équipes de restauration à temps plein et des équipements techniques qui doivent être modernisés pour garantir le meilleur environnement possible dans le temps (ce qui n'est pas le moment d'investir dans la politique). Le MNAC le démontre quotidiennement depuis des années et a un plan en place. Sixena ne l'a pas encore démontré (et il le doit, car avant 2015, il n'était pas en mesure d'accueillir quoi que ce soit). Nous ne disons pas qu'il ne peut pas le faire. Nous disons que cela reste à démontrer. Avec des documents, un soutien international, des rapports techniques, des budgets, des investissements, des plans muséographiques.

Six. C'est important : démontrer, démontrer, démontrer. Les peintures murales de Sixena ne sont pas n'importe quoi. Elles constituent un bien d'intérêt culturel au niveau espagnol. Cela nécessite une protection particulière, une garantie de la part des techniciens que leur conservation ne sera pas compromise. De plus, la loi espagnole sur le patrimoine culturel de 1985, dans son article huit, exige des professionnels et de la société civile en général qu'ils signalent tout soupçon d'« expoliation » (terme juridique sans traduction claire en catalan, mais qui désigne toute « action susceptible d'endommager ou d'endommager un bien patrimonial spécifique »). Autrement dit, le gouvernement d'Aragon pourrait passer d'une accusation de pillage à une accusation d'« expoliation », de dommages au patrimoine. C'est pourquoi le MNAC a une fois de plus raison de concentrer ses travaux sur l'accumulation de recommandations d'ordre technique. Et il ne pouvait pas faire autrement : c'est son obligation. Il est du devoir de chacun d'alerter sur les dangers potentiels du transfert. La loi l'exige. Une observation qui, étonnamment, n'a pas été prise en compte par les tribunaux.

Sept. Ces dangers avoués pour la conservation sont-ils exagérés ? Non : c’est l’avis des techniciens. Tout technicien professionnel de la restauration et de la conservation, doté d’une expérience reconnue, ne recommanderait pas de déplacer un tableau dans l’état où se trouve celui de Sixena. Certes, il peut affirmer, comme indiqué dans la phrase, que le déplacement est possible. En effet, on ne peut pas dire le contraire. Déplacer l’œuvre sans la détruire complètement est possible. Cependant, déplacer l’œuvre sans risquer de l’endommager n’est pas une affirmation que peut affirmer un technicien ayant analysé les œuvres.

J'insiste : le MNAC a accumulé des dizaines de rapports et de déclarations de spécialistes évoquant le risque de déplacer les œuvres et de les endommager. Et Sixena ? Nous ne disposons que de l'avis de l'ESCYRA (École supérieure de conservation et de restauration des biens culturels d'Aragon), par voie de presse, les mêmes qui, comme nous le savons par les médias, ont élaboré un protocole de transfert qui n'a pas été divulgué et sans que les œuvres aient été vues. Ce centre, qui mérite tout notre respect, fort de vingt-quatre ans d'histoire, ne peut, je dirais, être comparé à celui d'un musée centenaire comme le MNAC, l'un des premiers au monde dans la spécialité de la peinture murale, et doté de spécialistes techniques dans ce domaine.

Ceux qui accusent les peintures murales d'avoir été déplacées à l'intérieur du MNAC dans les années 1980, ou que certains fragments de peintures murales aient été déplacés il y a trois décennies lors d'expositions internationales, font preuve d'un manque de connaissances actualisées en matière de conservation. Les critères ont évolué en trente ans, comme ils l'avaient fait dans les années 1980 avec la guerre civile. Aujourd'hui, ils sont devenus plus exigeants, au nom de la préservation du patrimoine. C'est pourquoi, par exemple, la Dame d'Elche, située à Madrid, n'a pas été autorisée à se rendre à Elche, même pour une exposition temporaire, suite à un rapport de l'État.

Méditations sur Sixena Pintures de la sala capitular de Sixena al MNAC.

Huit. Et maintenant ? L'avis des juristes et des avocats catalans nous a manqué ces derniers temps. La sentence a déjà été ratifiée par la Haute Cour. Il ne reste plus qu'à saisir la Cour constitutionnelle, que certains jugent infranchissable. Est-ce vrai ? Et la lettre du bien d'intérêt culturel ? C'est l'État qui déclare ces biens de cette nature : a-t-il les compétences et le courage de les défendre ? L'État est-il représenté au conseil d'administration du MNAC : qui défend les dommages et les risques pour le patrimoine des BIC ? Qui analyse les rapports techniques ? L'Instituto Patrimonio Cultural de España n'a-t-il rien à dire ? Et le ministère de la Culture ne pourrait-il pas rédiger un rapport comme il l'a fait pour la Dame d'Elche il y a deux ans, dont le transfert a été stoppé ? Un rapport du ministère de la Culture sur un BIC peut-il modifier la décision d'une sentence ? Qu'est-ce qui compte le plus : la loi ou la protection du patrimoine d'un BIC ?

Coda. Il faut relâcher la pression sur le MNAC, qui a concentré ses efforts sur la seule voie possible : fournir des preuves techniques pour défendre le patrimoine et, en retour, dénoncer le plaignant, car il est nécessaire de se défendre contre une décision qui fragmentera l'importante collection de peintures romanes du musée. La balle est dans le camp d'Aragon (qui doit prouver scientifiquement de nombreux éléments) et de Madrid (qui doit les accepter comme valables ou non). Le bon sens veut qu'une institution publique, chargée de la protection du patrimoine national, évalue tous les documents fournis par les parties, renouvelle une analyse scientifique de l'œuvre et, si elle constate des dangers, suspende le transfert, jusqu'à ce que la communauté qui accueille les œuvres puisse démontrer qu'elle dispose de toutes les conditions techniques et humaines nécessaires, dans une perspective à long terme, pour garantir que ce précieux patrimoine ne soit pas, cette fois, condamné à perpétuité.

Albert Mercadé. Historien et critique d'art. Président de l'ACCA.

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