Considéré comme l’une des voix les plus marquantes de la réflexion contemporaine sur l’art et la pensée visuelle, Georges Didi-Huberman a développé une carrière qui va au-delà des textes écrits. Son univers intellectuel s’élargit également à travers des techniques de travail et l’organisation de ses archives personnelles, des films expérimentaux visuels, des conférences rompant avec les schémas académiques habituels, des moments de lecture partagée, des projets d’exposition ambitieux et des collaborations avec des artistes de diverses disciplines. Cette large gamme de pratiques est le point à partir duquel Didi-Huberman pose des questions, enquête et diffuse sa pensée.
Actuellement, la Filmoteca de Catalunya présente Georges Didi-Huberman. Dans l'atelier du philosophe, une exposition qui ne suit pas un ordre chronologique ni ne se concentre sur une œuvre close. L’objectif est d’aborder la manière de travailler d’un penseur qui comprend la pensée comme une activité construite à partir de connexions, de matériaux hétérogènes et de formes qui échappent souvent aux attentes académiques conventionnelles.
Georges Didi-Huberman, fotograma de Face à face à matière, 1998
L'exposition, visible jusqu'à la fin du mois d'août, prend comme point de départ l'exposition originale présentée en 2024 au Círculo de Bellas Artes de Madrid et a été organisée par Lucía Montes Sánchez. Ce qui est exposé n’est pas seulement le texte écrit par le philosophe français, mais aussi tout ce qu’il a fait avec et à partir des images. Pour la première fois, ses œuvres audiovisuelles sont réunies, ainsi qu'une sélection de collaborations avec des artistes qui ont travaillé avec lui sur des projets expérimentaux.
Parmi les pièces admirables, on peut citer L'Optogramme (1983) et Face à face à matière (1997), ainsi que des créations communes avec des personnalités telles qu'Israel Galván, Jean-André Fieschi ou Arno Gisinger. Ce dernier présente Diapoteca, une double projection basée sur les archives personnelles de diapositives de Didi-Huberman, aujourd'hui pratiquement inutilisées, mais qui s'inscrit dans sa manière très singulière de construire le savoir. A noter également De la mesa a la tapa: compás (2023), un film d'Henri Herré qui montre comment le philosophe organise les notes pour structurer un chapitre d'un futur livre, tout en jouant de la guitare flamenca.
Diapoteca (Arno Gisinger, 2024). A partir de les diapositives de Georges Didi-Huberman.
L’exposition souligne que, pour Didi-Huberman, la pensée ne se limite pas aux mots et n’est pas générée à partir d’un seul lieu. La proposition de la Filmoteca, bien qu'elle s'inscrive dans la ligne habituelle des expositions-essais dans des espaces comme le CCCB, adopte ici une approche moins pédagogique et plus ouverte, grâce au style personnel du philosophe. C’est pour cette raison que le terme « atelier » est plus approprié que celui d’« étude », car il y a un désir évident d’essais et d’erreurs, d’expérimentation constante, de démontage et de remontage, d’exploration du même sujet à travers différents formats et contextes.
Le résultat est un espace où le visiteur peut ressentir comment fonctionne sa façon de penser, qui ne cherche pas à offrir des réponses définitives mais plutôt à générer de nouvelles questions. Comme il le dit lui-même : « Les images ne mentent pas : nous mentons. Le problème avec les images, c'est qu'elles sont très partiales. » Peut-être que c’est dans cette idée que réside la clé de sa pratique : utiliser les images non pas pour révéler la vérité, mais pour nous aider à mieux poser des questions.