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« Et après tout ça, tu ne veux pas me sourire ? »

« Et après tout ça, tu ne veux pas me sourire ? » Extrait des paroles de « London Calling » de The Clash, devenu un hymne contestataire dans les années 1980 au Royaume-Uni.

Martin Parr. The last resort, 1983-1985. © Martin Parr / Magnum Photos
« Et après tout ça, tu ne veux pas me sourire ? »

Une glace verte, une de ces glaces menthe-chocolat appréciées des étrangers, des garçons torse nu et une fille de 20 ans au maximum, vêtue d'un pull à col roulé, d'une chemise à manches courtes et d'un jean. C'est une photographie de Martin Parr, un photographe anglais. Elle a récemment été présentée à la Tate Britain de Londres dans le cadre de l'exposition « Les années 80 : Photographier la Grande-Bretagne », qui visait à dresser un portrait fidèle de la société britannique de cette décennie et à la réécrire visuellement, sans pour autant ignorer des facteurs déterminants tels que le racisme endémique, une crise économique majeure et les conséquences du thatchérisme pendant les dix années du mandat du Premier ministre.

Photographe et documentariste, Martin Parr adopte un regard satirique et sans filtre sur la réalité la plus banale. Ni romantisme ni idéalisme, Parr joue avec le kitsch et la réalité de l'Angleterre profonde. La série photographique à laquelle appartient cette photo, The Last Resort, est un jeu de mots entre « dernier recours » et « resort » pour désigner une station balnéaire ou un complexe touristique. Certains disent qu'elle capture et incarne « l'essence britannique » du moment. Parr s'éloigne du londonocentrisme et choisit New Brighton, une ville côtière de la baie de Liverpool, dans le Midwest de l'Angleterre, sans prétention et ouvrière.

« Et après tout ça, tu ne veux pas me sourire ? » Martin Parr. The last resort, 1983-1985. © Martin Parr / Magnum Photos

Prises entre 1983 et 1985, aux couleurs saturées, à une époque où le noir et blanc prévalait encore, les photographies semblent glorifier, de manière presque provocatrice, la dégradation de la société britannique. Dans « The Last Resort », l'identité populaire s'éloigne de l'idée pompeuse et protocolaire des gilets, blazers, chapeaux, bas et talons. Habitués à des décennies d'ensembles soignés et amidonnés, les personnages des photographies de Parr arborent leurs manches retroussées, leurs cols froissés et leurs boutons défaits. Certains ne daignent même pas porter de t-shirt et se promènent torse nu. Et en maillot de bain, bien sûr. Un manque de décorum qui répond à l'ère de transformation qui a marqué la Grande-Bretagne dans les années 1980, une époque tumultueuse dont on se souvient encore avec colère et ressentiment. Une crise latente, marquée par la crise minière, la désindustrialisation du pays qui a inventé l'industrialisation et le déclin de l'industrie traditionnelle, dû à la centralisation économique dans la capitale.

« Et après tout ça, tu ne veux pas me sourire ? » Martin Parr. The last resort, 1983-1985. © Martin Parr / Magnum Photos

Comme dans toute crise, les vêtements deviennent mesurés et négligés. Le côté pratique triomphe et, comme on le voit sur les photos, les protagonistes, en grande partie grâce au contexte estival, ne voient plus la nécessité du formalisme ; le maillot de bain devient un vêtement accepté (souvent interdit dans l'espace public). C'est l'essor des vêtements de sport, des logos et des marques. Confort et simplicité vestimentaires. En période de souffrance, l'indifférence est prioritaire, et le vêtement cesse d'être une priorité : « D'abord je mange, ensuite je m'inquiète de m'habiller. » La propagande s'impose comme un autre imprimé. Le merchandising comme un symbole de statut social. Et pourquoi pas ? Le secteur des services et la société de bien-être triomphent. Le polyester et la production de masse se consolident. Les années 80 ont été témoins d'un changement de paradigme entre « avant » et « maintenant », passant du formalisme au langage courant. C'est pourquoi les photographies de Martin Parr sont frappantes, car elles contrastent avec une idée que nous avons répandue, mais extérieure, de la culture britannique, une société costumbriste qui veut préserver l'art de la couture et vénère Savile Row, les bottes en caoutchouc et les imperméables, de la même manière qu'elle continue de vénérer et de célébrer la monarchie, à commencer par le mariage des princes de Galles en 1981. Martin Parr documente le passage du cliché de l'Anglais tel qu'il devrait être à l'Anglais qui passe de s'habiller avec les meilleurs tissus à idolâtrer Zara, Primark et Topshop.

« Et après tout ça, tu ne veux pas me sourire ? » Martin Parr. The last resort, 1983-1985. © Martin Parr / Magnum Photos

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