Le CaixaForum Barcelona débute l'année 2025 avec une proposition issue de la main de deux grands artistes contemporains : la photographe néerlandaise Rineke Dijkstra et le créateur français Philippe Parreno . Ses œuvres, incorporées en 2021 à la Collection de la Fondation « la Caixa », nous invitent à nous interroger sur ce que signifie observer une œuvre d’art et dans quelle mesure l’expérience artistique dépend de celui qui regarde. L'exposition intitulée « Hors cadre ». « Les œuvres de Rineke Dijkstra et de Philippe Parreno » offrent deux perspectives complémentaires sur la relation entre le spectateur et l'œuvre. D'un côté, Dijkstra nous invite à voir comment différentes personnes réagissent à « La Ronde de nuit » de Rembrandt sans jamais nous montrer le tableau. D'autre part, Parreno nous transporte sur la scène où Goya a créé les Peintures Noires, recréées à travers une mise en scène immersive qui joue avec la lumière et le son.
Dans « Night Watching », Rineke Dijkstra a filmé 14 groupes de visiteurs alors qu'ils observaient le célèbre tableau de Rembrandt au Rijksmuseum d'Amsterdam. Pour nous, spectateurs, le tableau n’apparaît pas à un moment donné, nous ne voyons que les réactions des gens, leurs conversations, leurs gestes, leur complicité. Dijkstra, connue pour sa capacité à capturer l’essence des individus dans ses portraits, met l’accent sur le public, faisant de lui le véritable protagoniste. De plus, il joue subtilement avec des éléments qui font référence à l'œuvre de Rembrandt lui-même : un groupe habillé en noir avec une seule fille aux cheveux roux à côté de lui, comme dans « La Ronde de nuit » .
Rineke Dijkstra, fotograma de La ronda de la nit, 2019. © Rineke Dijkstra
Le résultat est une expérience dans laquelle le spectateur observe d’autres spectateurs, nous faisant prendre conscience de la façon dont nous regardons et interprétons l’art. Cette idée est renforcée par les profils différents des spectateurs filmés par Dijkstra : depuis des groupes de Japonais qui abordent la peinture sous un angle économique et touristique jusqu'à des dames âgées expertes en histoire de l'art, chacune avec sa manière particulière de la vivre. Son talent de portraitiste se manifeste dans la manière dont il se concentre sur les personnages, créant ainsi un portrait collectif qui rappelle l'essence même de l'œuvre de Rembrandt. De plus, Dijkstra utilise un fond blanc pour focaliser l’attention sur les spectateurs, transformant l’œuvre en un véritable jeu de miroirs où nous devenons nous-mêmes spectateurs des spectateurs du tableau.
Rineke Dijkstra, fotograma de Night watching, 2019. © Rineke Dijkstra
D'autre part, Philippe Parreno nous transporte, avec son installation audiovisuelle 'La Quinta del Sordo', dans la maison où Goya a peint ses Peintures Noires. Parreno souhaite que le public découvre à quoi ces œuvres devaient ressembler dans leur environnement d’origine. Avec une esthétique que l’artiste définit comme un « film de science-fiction », l’œuvre joue avec un éclairage presque fantomatique : seuls le reflet d’une bougie et le bourdonnement de la cheminée éclairent l’obscurité. Cela nous permet de voir de près les coups de pinceau de Goya, comme si nous étions dans un autre siècle. Mais le travail acoustique fait aussi partie de l’œuvre : le crépitement du feu, les aboiements d’un chien au loin, des murmures indéfinis qui semblent provenir d’un passé qui n’existe plus. C'est une expérience énigmatique et dérangeante. Parreno a voulu représenter à quoi ces peintures devaient ressembler dans leur espace d'origine, sans lumière électrique, avec un éclairage jaunâtre et tamisé qui transforme complètement la perception des œuvres. Selon lui, voir ces tableaux au Prado n’est pas une expérience naturelle, mais une fiction.
Le titre de l'exposition, « Outside the Frame », fait référence au fait que Dijkstra et Parreno remettent tous deux en question l'idée classique du cadre de l'œuvre d'art. Dijkstra se concentre sur l’observateur et en fait le sujet de l’analyse, tandis que Parreno brise les barrières physiques du musée pour nous emmener dans un lieu qui n’existe plus. De plus, CaixaForum Barcelona a créé un espace interactif qui élargit cette réflexion. Grâce à un dispositif participatif, les expériences des visiteurs sont recueillies pour rendre visible la manière dont nous percevons l’art, quelle est notre performativité dans les musées et les gestes et impressions que nous pouvons entendre en audio. De plus, un système d'intelligence artificielle génère des images basées sur la façon dont nous imaginons « La Ronde de nuit » après avoir écouté les impressions des groupes de personnes filmées par Dijkstra. Il s’agit d’une proposition très intéressante qui, au-delà de nous inviter à contempler l’art, nous amène à repenser la manière dont nous le vivons.
Philippe Parreno, fotograma de La quinta del sordo, 2021. © Atelier Philippe Parreno © Museo Nacional del Prado. © Andrea Rossetti.